samedi 19 décembre 2009

Le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau

Du contrat social de Jean-Jacques Rousseau est l'un des ouvrages les plus célèbres de philosophie politique. Partant d'un paradoxe : « l'homme est né libre, et partout il est dans les fers », le citoyen de Genève se lance à la recherche d'une règle d'administration légitime permettant de concilier la justice et l'utilité. Elle doit aboutir à l'énoncé des Principes du droit politique (qui est le sous-titre du livre), c'est-à-dire des principes rationnels qui fondent la légitimité des lois. Pour cela, Rousseau part des hommes tels qu'ils sont et des lois telles qu'elles peuvent être. Son point de vue est donc d'emblée normatif : il ne dit pas ce qui est mais ce qu'il faut faire. Les quatre livres qui divisent l'ouvrage suivent le mouvement suivant : après avoir défini les principes de l'autorité politique (livre I et II), Rousseau dresse un panorama des différents moyens permettant de les appliquer (livre III et IV).

I/ La définition des principes de l'autorité

1/ Les conditions essentielles du pacte social

Rousseau cherche à déterminer le principe de légitimité de tout ordre politique en opérant une critique des anciens systèmes de justification de l'autorité : la figure paternaliste de l'autorité naturelle, le droit du plus fort et la servitude contractuelle. L'autorité naturelle procède par analogie avec la famille. Certes, la famille est la plus ancienne et la plus naturelle des sociétés. Elle sert de premier modèle aux sociétés politiques : par analogie, le chef est le père, le peuple est l'enfant. Mais si l'aliénation de la liberté de l'enfant se fait pour son utilité, celle du peuple se fait au profit du plaisir de commander du chef. Il n'y a donc pas réciprocité. En outre, être le plus fort est insuffisant pour garantir un droit : comme « le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir », il faut à un moment qu'il justifie l'obéissance d'autrui en faisant passer la contrainte qu'il exerce pour un droit. Mais l'obéissance est un acte de la volonté qui n'oblige en rien à céder à une puissance illégitime. Enfin, les théories de la servitude contractuelle défendent l'idée qu'un peuple peut aliéner sa liberté et se rendre esclave d'un maître en passant une convention où il échange sa liberté contre la tranquillité civile. Mais observe Rousseau, le gain à l'échange n'est pas évident si le peuple doit sa tranquillité à un cachot. Mieux : aucun homme ne peut renoncer à sa liberté sans corrélativement abandonner sa qualité d'homme et donc ses devoirs. Une clause permettant de tout exiger d'un homme annule le contrat puisque il doit y avoir un équivalent à l'échange. Justifier l'asservissement par la suite d'une guerre n'est pas non plus acceptable puisqu'une guerre n'est pas une relation d'homme à homme, mais une relation d'Etat à Etat. La guerre finie, l'ennemi redevient un homme que l'on ne peut asservir légitimement en échange de sa vie sauve.

Le vrai fondement de la société est « l'acte par lequel un peuple est un peuple » : la passation d'un pacte social. A l'état de nature, la survie des hommes est menacée de manière permanente. Ils doivent donc s'unir pour former une agrégation de forces et agir de concert. L'enjeu est de trouver une forme d'association qui protège la force commune ainsi que chaque associé, et assure que chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant. Cette force d'association est le contrat social. Dans le contrat social, chaque homme met en commun sa personne et sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale de manière à former un corps politique indivisible.

La liberté de chacun est garantie par l'abandon des droits individuels à la volonté générale qui élève le peuple à l'état moral de souverain et les hommes au statut de citoyens. Un individu peut avoir une volonté particulière contraire à la volonté générale qu'il a comme citoyen car son intérêt particulier peut aller à l'encontre de l'intérêt commun. Pour éviter qu'il jouisse des droits du citoyen sans vouloir remplir les devoirs du sujet, le pacte social renferme comme engagement tacite que le refus d'obéir à la volonté générale entraîne une contrainte de tout le corps : c'est ainsi « qu'on le forcera d'être libre ». Par le contrat, l'homme perd sa liberté naturelle dont les bornes sont les forces de l'individu, mais il gagne une liberté civile dont les limites sont la volonté générale. Cette liberté nouvelle que l'homme acquiert en passant de l'état de nature à l'état civil introduit un changement dans sa conduite puisqu'il substitut la justice à l'instinct. Cette liberté morale rend l'homme vraiment maître de lui : « car l'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté ».

2/ La Législation

La volonté générale peut seule diriger les forces de l'Etat selon la fin de son institution, qui est le bien commun, et ne peut être limitée en rien si ce n'est par sa compétence générale. L'opposition des intérêts particuliers rend nécessaire l'établissement de la société. Cet établissement n'est possible que lorsque ces intérêts particuliers s'accordent pour devenir un intérêt commun. L'intérêt commun forme le lien social et rend possible l'existence de la société. Par conséquent, la société ne doit être gouvernée que par cet intérêt commun. Le Souverain est l'être collectif qui gouverne la société et la souveraineté est l'exercice de la volonté générale. Un acte de souveraineté est un acte de volonté générale, c'est-à-dire qu'il n'engage pas un supérieur vis-à-vis d'un inférieur, mais est une convention entre chaque membre qui est légitime (sa base est le contrat social), équitable (commune à tous), utile (elle n'a pas d'autre objet que le bien général) et solide (son garant est la force public et le pouvoir suprême). « Tant que les sujets ne sont soumis qu'à de telles conventions, ils n'obéissent à personne, mais seulement à leur propre volonté ». Cette souveraineté n'a de limites que l'engagement mutuel des citoyens. En revanche, le Souverain ne peut pas charger un sujet plus qu'un autre, car son pouvoir est fondé sur sa généralité (il n'a pas de compétence dans une affaire particulière).

La souveraineté est « inaliénable, indivisible et toujours droite ». Elle est inaliénable parce que la volonté générale du souverain est une volonté qui est en acte, elle ne peut pas dire ce que les hommes voudront demain. Elle est indivisible car ce qui fait la généralité de la volonté, c'est qu'elle émane du corps du peuple uni par son intérêt commun et non de tel groupe doté d'une volonté particulière. Elle est toujours droite et tend toujours à l'utilité publique parce qu'elle a en vue le bien commun. Cela ne signifie pas que le peuple est infaillible, mais qu'il ne peut pas être corrompu. La volonté générale ne s'identifie pas avec la volonté de tous, elle n'est pas une somme de volontés particulières. Pour cette raison, Rousseau se prononce contre les corporatismes, car ils sont vecteurs de tromperie. Il fait ainsi la différence entre vouloir le bien, ce que le peuple veut toujours, et voir le bien, ce sur quoi il peut être trompé.

Le Législateur rédige les lois en les adaptant au peuple considéré et le peuple souverain les entérine : il conserve son droit législatif. Le Législateur est le guide de la volonté générale, il l'aide à voir les objets tels qu'ils sont et la prémunit des séductions des volontés particulières. Ce législateur est une « intelligence supérieure », un « homme extraordinaire dans l'Etat » : son rôle n'est rien de moins que de parvenir à changer la nature humaine par les lois. Il ne peut employer ni la force ni les raisonnements, mais seulement recourir à une autorité entraînant sans violence et persuadant sans convaincre : la religion civile. La religion est pour Rousseau un instrument du politique. En outre, le législateur doit examiner si le peuple auquel il destine ses lois peut les supporter. Il doit prendre garde à la taille de l'Etat, à la démographie et à la géographie du territoire. Il dispose de divers systèmes de Législation (presque autant qu'il existe de peuples différents). Ils ont tous pour fin le plus grand bien de tous, ce qui repose sur deux moyens : la
liberté (toute dépendance particulière est autant de forcé ôtée au corps de l'Etat) et l'égalité (la liberté ne peut subsister sans l'égalité).

II/ Les modalités d'application pratique de la forme gouvernementale retenue

1/ La forme du Gouvernement : les lois politiques

Le Gouvernement est « un corps intermédiaire établi entre les sujets et le Souverain » et qui est « l'exercice légitime de la puissance exécutive ». Sa fonction est d'exécuter les lois et d'assurer le maintien de la liberté civile et politique. Il reçoit du Souverain les ordres qu'il donne au peuple. De même que toute action a libre a deux causes : une cause morale qui est la volonté qui détermine l'acte et une cause physique qui l'exécute, de même il faut distinguer la puissance législative qui appartient au peuple et la puissance exécutive qui appartient au Gouvernement. Le Gouvernement ne relève pas de la généralité, mais de la particularité : ses actes ne sont pas des lois mais des décrets. Les membres du gouvernement sont les magistrats. Ils doivent partager un « moi particulier », c'est-à-dire une sensibilité commune qui leur fasse toujours préférer leur propre sacrifice à celui du peuple.

Les Gouvernements ont différentes formes possibles (démocratique, aristocratique et monarchique) et peuvent recourir à de nombreuses combinaisons dans la réalité. Il n'existe pas de manière absolue une meilleure forme de Gouvernement, tout dépend des cas particuliers. Par exemple, le Gouvernement démocratique convient mieux aux petits Etats et la Monarchie aux grands. La Démocratie est la forme de gouvernement dans laquelle le Souverain fait que tout le peuple gouverne. Tous les citoyens sont en mêmes temps des magistrats, de sorte que l'on peut parler d'un « Gouvernement sans Gouvernement ». En ce sens, la démocratie est une utopie : « à prendre le terme dans la rigueur de l'acception, il n'a jamais existé de démocratie et il n'en existera jamais ». La Démocratie est un régime qui demande beaucoup de vigilance et de courage, à tel point qu'il convient plus à des Dieux qu'à des hommes. L'Aristocratie est le Gouvernement d'un petit nombre. Le Gouvernement et le Souverain sont deux personnes morales dotées d'une volonté générale, mais l'une à l'égard des citoyens, l'autre à l'égard de l'administration. L'Aristocratie peut être naturelle, élective et héréditaire, mais l'aristocratie élective est la meilleure car non seulement elle permet de distinguer le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, mais en plus elle garde le choix de ses membres. Plus généralement, « c'est l'ordre le meilleur et le plus naturel que les plus sages gouvernent la multitude quand on est sûr qu'ils la gouverneront pour son profit et non pour le leur ». La Monarchie est le gouvernement d'un seul. La personne morale du Gouvernement ne fait alors qu'un avec une personne physique et la volonté générale tend à s'identifier à la volonté du Prince, ce qui assure une certaine vigueur du pouvoir. En revanche, nulle autre forme ne tend plus vers l'absolutisme, puisque la volonté particulière du Prince peut dominer et conduire non plus vers la félicité la publique, mais vers le préjudice de l'Etat.

Tout Gouvernement a tendance à substituer sa propre voix à la volonté générale. La fin de l'association politique est la conservation et la prospérité des membres, donc le signe d'un bon Gouvernement est celui du nombre et de la prospérité de la population. « Comme la volonté particulière agit sans cesse contre la volonté générale, ainsi le Gouvernement fait un effort continuel contre la Souveraineté », cela peut amener le Prince à rompre le traité social. La dissolution de l'Etat intervient lorsque soit le Prince n'administre plus l'Etat selon les lois et usurpe le pouvoir souverain, soit lorsque les membres du Gouvernement exerce séparément le pouvoir qu'ils exercent normalement en corps. Dans ce cas, l'abus du Gouvernement prend le nom d'anarchie : la Démocratie dégénère en Ochlocratie, l'Aristocratie en Oligarchie et la Royauté en Tyrannie.

Des mécanismes doivent être mis en place pour éviter la dégénérescence de l'Etat comme des assemblées régulières du peuple et des mécanismes de consultation directe. « Le corps politique, aussi bien que le corps de l'homme, commence à mourir dès sa naissance et porte en lui-même les causes de sa destruction ». Mais si la constitution de l'homme est l'ouvrage de la nature, celle de l'Etat est l'ouvrage de l'art. Il dépend donc des hommes que l'Etat ne meure pas. Or si l'Etat subsiste, ce n'est pas au moyen de lois, mais par le pouvoir législatif. Pour que l'autorité souveraine se maintienne elle doit se réunir fréquemment, c'est-à-dire que le peuple doit pouvoir tenir des assemblées. A l'instant où le peuple est légitimement assemblé en corps souverain, la juridiction du gouvernement cesse et la puissance exécutive est suspendue. Par le contrat social, les citoyens sont tous égaux : nul ne peut exiger d'un autre ce qu'il ne fait pas lui-même. L'acte par lequel est institué un Gouvernement n'est pas un contrat entre le peuple et ses chefs, car le Souverain n'est lié à rien d'autre qu'à lui-même et un tel contrat qui lie le peuple à une personne est particulier. L'acte qui institue le Gouvernement n'est pas un contrat mais une loi. Cela signifie que quand bien même un peuple instituerait un Gouvernement du type de celui d'une monarchie héréditaire, rien ne s'opposerait alors à ce qu'il mette fin à ce Gouvernement, si ce dernier contrevenait au bien public. Il faut cependant distinguer l'acte régulier du tumulte séditieux, ce qui n'est pas évident. La meilleure façon d'éviter que les clameurs d'une faction l'emportent sur la volonté de tout un peuple est de permettre périodiquement les assemblées du peuple. L'ouverture de ces assemblées dont l'objet n'est que le maintien du traité social doit se faire par deux propositions séparées et insupprimables : la conservation par le Souverain de la forme du Gouvernement et la prorogation des magistrats du Gouvernement. Aucune loi dans l'Etat n'est irrévocable, pas même le pacte social.

La Souveraineté consiste essentiellement dans la volonté générale, elle ne peut donc pas être représentée. Rousseau prend position contre le régime représentatif : ce type de régime arrive lorsque le tracas du commerce et l'intérêt du gain l'emporte sur le souci par les citoyens du service public : « ce mot de finance est un mot d'esclave ; il est inconnu dans la Cité ». Il s'agit d'un « attiédissement de l'amour de la patrie ». Les députés ne peuvent pas être des représentants, mais seulement des commissaires qui ne peuvent rien conclure définitivement : « toute loi que le Peuple en personne n'a pas ratifiée est nulle ; ce n'est point une loi ».

2/ Les moyens d'affermir la constitution de l'Etat

Le système politique romain et ses institutions peuvent servir de modèle à l'établissement de la légitimité politique. Un Etat bien gouverné n'a besoin que de peu de lois. Rousseau fait l'éloge de la simplicité des Romains, de leurs maximes morales et des ressorts de leur Etat. Il voit dans la subtilité politique l'ennemie de la paix, de l'union et de l'égalité. La présentation de l'historique de la police romaine a pour objectif de montrer comment les Romains traitent des affaires publiques en réunissant 200 000 hommes dans les assemblées du peuple : les Comices. Le peuple romain est divisé en plusieurs parties pour le recueillement des suffrages. Rousseau valorise la division des Comices par Centuries car elles associent tous les citoyens. Il attribue le déclin de la République romaine au fait que le peuple est devenu de plus en plus corrompu et que le gouvernement n'a pas su adapter des lois qui convenaient seulement à un bon peuple.

On vérifie la santé du corps politique au degré de concert qu'il existe dans les assemblées : plus les avis se rapprochent de l'unanimité, plus la volonté générale est dominante. Les dissensions et le tumulte annoncent le déclin de l'Etat. Une seule loi exige par sa nature un consentement unanime : le pacte social. Les opposants au pacte social sont des étrangers parmi les citoyens. Hors de ce contrat, le fonctionnement est assuré par la voix de la majorité. Lorsqu'il vote, un citoyen juge si la proposition est conforme à sa conception de la volonté générale.

Il peut arriver cependant que l'Etat traverse des crises. Pour limiter leur impact, Rousseau prévoit trois dispositifs : le Tribunat, la Dictature et la Censure. Le Tribunat vise à protéger le Souverain du Gouvernement ou le Gouvernement du Peuple. Il s'agit d'une magistrature particulière qui joue le même rôle que le Tribun du peuple à Rome. Il n'est pas une partie constitutive du pouvoir législatif ou exécutif, mais il dispose d'une dimension sacrée en tant que défenseur des lois. Il est un appui de la bonne constitution. La Dictature est un dispositif visant à éviter une inflexibilité des lois qui pourrait causer la perte d'un Etat en crise. Comme le Législateur ne peut jamais tout prévoir, il faut permettre une altération temporaire de l'ordre public lorsqu'il en va du salut de la patrie. Cette altération consiste à renforcer l'activité d'un Gouvernement en concentrant son activité dans un ou deux de ses membres. Il est possible également de nommer un chef suprême qui soit au-dessus des lois et suspende un moment l'autorité souveraine. Pour éviter les dérives, il importe de fixer la durée à un terme très court, celui suffisant au redressement de l'Etat, car passé ce délais la Dictature devient tyrannique. La Censure est également nécessaire car elle permet la déclaration du jugement publique. Le tribunal censorial n'est pas l'arbitre de l'opinion du peuple, mais le déclarateur de cette opinion. Comme l'opinion décide chez tous les peuples du choix de leurs plaisirs, la censure doit avoir pour rôle d'épurer les mœurs en redressant l'opinion. Selon Rousseau, « les opinions d'un peuple naissent de sa constitution », c'est la législation qui fait naître les mœurs, elle doit donc garantir leur maintien. En revanche, la Censure n'a pas de rôle positif : elle ne peut pas rétablir les mœurs, mais seulement les maintenir.

Le contrat social se termine sur l'exposé de la religion civile qui peut être considérée comme un dispositif essentiel permettant d'assurer la vie sociale. « Les hommes n'eurent point d'abord d'autres Rois que les Dieux (…). Il faut une longue altération de sentiments et d'idées pour qu'on puisse se résoudre à prendre son semblable pour maître, et se flatter qu'on s'en trouvera bien ». Cette solidarité entre la religion et politique explique la diversité des croyances. Au départ, chaque religion était uniquement rattachée aux lois de l'Etat. Les choses changent avec la religion chrétienne qui sépare le royaume de l'autre monde et celui d'ici bas. De cette double puissance résulte un conflit de juridiction entre le prêtre et le maître de l'Etat qui rend toute bonne politie impossible. Pour cette raison, le philosophe Hobbes propose de réunir les deux têtes de l'aigle et de tout ramener à l'unité politique.

La religion peut être de trois sortes : la religion de l'homme, la religion du citoyen et la religion du prêtre. La religion du prêtre est mauvaise parce qu'elle rompt l'unité sociale : elle donne aux hommes deux législations et les empêche d'être à la fois dévot et citoyen. La religion du citoyen est propre à un pays : elle est bonne parce qu'elle réunit le culte divin et l'amour des lois, mais elle est mauvaise parce qu'elle est fondée sur le mensonge. Enfin la religion de l'homme est un théisme que Rousseau considère comme véritable, mais qui n'a pas de relation particulière avec le corps politique. Or « il importe à l'Etat que chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs ». Les dogmes de cette quatrième sorte de religion ne se rapportent qu'à la morale et aux devoirs. Elle laisse chacun libre de ses opinions. Seul lui importe que les hommes soient de bons citoyens. « Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au Souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de Religion, mais comme sentiment de sociabilité, sans lesquels il est impossible d'être de bon citoyen ni sujet fidèle. Sans pouvoir obliger personne à les croire, il peut bannir de l'Etat quiconque ne les croit pas ». Ces dogmes doivent être simples et en nombre limité. La tolérance reste de mise, mais Rousseau considère que la tolérance civile est inséparable de la tolérance théologique. « Maintenant qu'il n'y a plus et qu'il ne peut plus y avoir de Religion nationale exclusive, on doit tolérer toutes celles qui tolèrent les autres, autant que leurs dogmes n'ont rien de contraire aux devoirs du citoyen ».

Conclusion

Le Contrat social montre que les principes sur lesquels repose une association politique sont le Souverain, la volonté générale et le Gouvernement. Ce qui fonde la légitimité de tout Etat est le pacte social par lequel tous les membres décident de vivre ensemble sans que leur liberté n'ait à souffrir de l'arbitraire d'un quelconque particulier. La volonté générale est un principe que d'aucuns considèrent comme obscur, mais qui l'est surtout par sa simplicité : « tant que plusieurs hommes réunis se considèrent comme un seul corps, ils n'ont qu'une seule volonté, qui se rapporte à la commune observation, et au bien-être général ». Rousseau se méfie des subtilités politiques et en reste à la généralité de l'intérêt commun au nom de la particularité de chaque peuple, ce qui l'oblige à s'en remettre au bon Législateur pour les cas d'espèce. On peut voir là une sorte de deus ex machina un peu facile. Ce serait oublier que la science politique n'est pas une science exacte, mais une science de l'homme qui nécessite pour sa pratique, un souci aigu de la chose politique, toujours particulière, toujours changeante.

Bibliographie

L'édition GF Flammarion est accompagnée d'une éclairante présentation écrite par Bruno Bernardi.

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